Après avoir pratiqué la peinture et la lithographie qu’il découvre dans l’atelier que dirige Jacques Durand-Henriot à l’Ecole Régionale des Beaux-Arts de Rennes, Jean-Yves BOISLEVE édite des gravures sur cuivre et des sérigraphies avant de se consacrer presque  exclusivement à la gravure en taille d’épargne.

C’est lors de la visite d’une exposition sur les textiles, qu’il est émerveillé par les blocs de bois qui servent à imprimer et par leurs subtils jeux d’impression.

Ce sera pendant des années sa source d’inspiration d’autant que des séjours en Afrique de l’Ouest lui ont permis d’observer de plus près   ces tissus et ceux qui en sont drapés. L’imprécision du repérage des couleurs ne conduit-elle pas tout simplement à une poésie de la forme, le chevauchement des tons à une facette kaléidoscopique ou de mêlent les espaces. Autant de sources d’inspiration pour un artiste.

De ces tissus, il drape ses Olympia noires qui ne disparaissent plus comme servantes, comme dans les toiles de Manet, mais trônent en Reines.

C’est donc sur le thème du peintre et du modèle qu’il grave de somptueuses planches en couleurs. Les relations entre l’artiste et le modèle sont intenses et complexes, la volupté guide le pinceau, le burin ou la gouge, mais à travers cette relation, l’artiste recherche un sujet toujours plus adéquat à son imaginaire, à moins qu’il ne recherche un modèle qui lui ressemble.

L’art Africain n’est-il pas à la source de l’art moderne ? Et l’on comprend la passion de Jean-Yves Boislève à remonter le temps, à nous glisser au travers de ses gravures des références à l’histoire de l’art.

Car sa seconde rencontre décisive, il va la faire lors de l’exposition ‘’Impressions Bretonnes’’ la gravure sur bois en Bretagne présentée au Musée Départemental Breton de Quimper. Il va alors graver des paysages Bretons, a plaques perdues, une technique qui requiert beaucoup d’analyse et de créativité. Ces planches résonnent comme un hommage aux artistes de tous horizons qui ont voulu faire de la Bretagne une terre de modernité.

Le paysage mystérieux de Jean-Yves Boisléve

Proust nous pardonnerait sans doute cet emprunt partiel au titre d’un petit texte qu’il rédige après une visite à l’atelier de Gustave Moreau. Ce n’est pas une comparaison entre ce peintre singulier et le graveur sujet de ces lignes, mais une mise en exergue de ce que la gravure sur bois, plus que toute autre, contient de mystère pour l’amateur passionné. Nous sommes d’autant plus porté à une telle approche que le poids historique de la gravure de reproduction a obscurci le paysage et retenu le collectionneur de se livrer trop ouvertement à ce qui passe pour une passion mineure. Chacun connaît pourtant l’importance de Dürer et Rembrandt, dieux tutélaires des graveurs. Mais, ici, nous sommes convaincus de l’actualité de cette, ou plutôt ces techniques, pour l’épanouissement des expressions créatives contemporaines.

Jean-Yves Boisléve est à cet égard exemplaire du choix d’un créateur contemporain. Sa formation lui permet de parcourir toutes les techniques classiques de la peinture, du dessin et à la gravure. La rencontre choisie se produit avec cette dernière. La relation, d’abord exploratoire, du vaste champ des techniques possibles : pierre, métal, bois, linoléum, se concentre sur les deux dernières. Parce que c’était elles, parce que c’était lui… rencontre amoureuse, avec le papier pour témoin ? Entendre la description empreinte de sensualité de l’artiste offrant au papier vieilli et tout bouffant encore, la planche qu’il vient de creuser d’une première fois, qui place sous presse avec mesure encore. L’examen du résultat, nouveau contemplation réciproque, déclenche la stratégie de taille suivante. Cette dialectique entre technique rigoureuse et passion voluptueuse ravit l’artiste. La pratique est ici implacable et minutieuse puisque Boisléve n’utilise qu’une seule planche par œuvre. Le terme taille d’épargne prend ici tout son sens, comme celui de planche perdue… puisqu’il ne restera sur la planche que le dernier état, l’estampage final, après les « ouvertures » successives. Pas de chemin à rebrousser !

Les choix iconographiques naissent aussi de cet amour de savoir technique, du contraste de la ligne et des couleurs pures, juxtaposées aussi bien que superposées. La rencontre des techniques d’impression sur étoffe qu’il découvre en Afrique est lisible. « … et le morceau d’étoffe qui, jeté sur une épaule, drapait et dénudait le corps à la fois » le séduit autant que Joseph Kessel, mais l’étoffe plus encore que le corps ? Le choix plus récent de la Bretagne, tant des ses paysages que de sa faune, n’a pas d’autre problématique. Comment dire le rythme d’un paysage, le calme d’une rivière au petit matin, la somptuosité colorée d’une sardine, de quelques lignes creusées avec retenue et des aplats colorés déposée en sens inverse de la perception ordinaire ? C’est le talent intime du graveur, et la jouissance secrète de l’amateur.

Sylvie Blottière-Derrien